jeudi 4 novembre 2010

Qu'être écologiste, ce n'est ni bien ni mal.

Nous procéderons more geometrico

Postulat de principe
Soit le postulat épistémologique fondamental suivant : entre deux hypothèses concurrentes, il convient de privilégier celle dont le coefficient de rationalité est le plus élevé.

Scolie
Remarquons que par « épistémologie », nous retenons avant tout la notion de connaissance, opposée à celle d’opinion ou de croyance. Ces dernières admettent l’impossibilité de toute connaissance, dans la mesure où elles adhèrent à l’inconnaissable en soi, l’inexplicable, le mystérieux. Or puisqu’il s’agit de démontrer quelque chose, il est nécessaire de préserver la foi en la connaissance. Ici, nous admettons la thèse de Nietzsche selon laquelle toute hypothèse théorique, toute science, commence par un acte de croyance. Historiquement, le philosophe n’est-il pas celui qui se met à croire en la puissance de la raison pour expliquer les phénomènes ? Toute philosophie est donc critique au sens grec du terme, c’est-à-dire qu’elle établit une discrimination forte entre la science et le mythe, entre l’explication et la légende, entre le rationnel et l’a-rationnel. Il s’agit donc bien d’un postulat, voire d’un credo, et non pas d’un axiome. Ne pas le poser revient à renoncer à l’idée même de philosophie. Qu’est-ce qui distinguera l’entreprise du philosophe de celle du religieux, sans ce postulat ? C’est pourquoi nous devons le poser avant toute chose.

A partir de ce postulat, on peut déduire une série d’inférences ou de propositions :

1° Il n’y a rien de transcendant en soi, i.e. rien de ce qui est et même de ce qui n’est pas n’a de valeur en soi.

Démonstration
S’il en allait autrement, il faudrait supposer une intention supérieure ou transcendante à partir de laquelle les choses prendraient tout leur sens, c’est-à-dire acquerraient leur raison d’être. La question leibnizienne « Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? » est ainsi unsinnig, c’est-à-dire insensée. Se poser une telle question revient en effet à postuler l’existence d’une décision transcendante, ou une cause finale à tout ce qui est, donc un plan, une providence. Or cette hypothèse n’en est pas une puisqu’elle admet d’emblée l’impossibilité de toute réponse. Se poser la question revient à s’empêcher absolument d’y répondre, puisqu’il n’est pas possible de remonter par induction jusqu’à la cause finale par les voies de la raison. Une hypothèse, au contraire, est par définition une affirmation en sursis, en attente de démonstration par les voies de la raison. Elle appartient au discours du possible et non pas au domaine de l’inconnaissable. Elle ne renonce pas à la possibilité de la réponse. Bref, elle n’est pas vaine. Est unsinnig toute proposition qui porte en elle-même sa propre impossibilité, qui s’annule en se formulant. Ainsi la question « Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? » est une pseudo question : elle vide de toute pertinence sémantique l’interrogatif « pourquoi ». Elle ne veut rien dire.

2° Être ne vaut pas mieux que n’être pas, la vie ne vaut pas mieux que la mort.

Démonstration
Cela se déduit directement de la proposition 1 : si rien n’a de valeur en soi, la vie, comme la mort, est sans valeur.

3° Tout discours normatif sur le vivant est sans fondement. Au mieux, ce n’est que de la mauvaise foi.

Démonstration
Toute tentative de normativité implique du transcendant. Or prétendre qu’il y aurait des choses bonnes en elles-mêmes est, d’après les propositions précédentes, insensé. En effet, si certaines choses étaient bonnes en elles-mêmes et d’autres pas, il faudrait poser en principe une cause finale, donc une intention, un plan, une providence. Dès lors qu’il nous apparaît impossible de remonter jusqu’à cette cause finale, puisqu’elle est transcendante, cela revient à indéterminer les valeurs que l’on postule. Bref, on ne sait pas pourquoi telle chose aurait davantage de valeur qu’une autre. Dans ce cas, il est contradictoire d’affirmer que telle ou telle chose a de la valeur en soi, puisque la transcendance d’où proviendraient les valeurs étant inconnaissable, les valeurs qu’on attribue aux choses n’ont que l’apparence, c’est-à-dire l’apparat, du transcendant. D’ailleurs l’inaccessibilité de la source des valeurs se traduit dans les faits par les disputes, les haines, les contradictions. Preuve que les valeurs proviennent d’une décision ici-bas, historiquement datée et, par conséquent, artificielle et arbitraire. Si l’on devait en dresser la généalogie, on pourrait par hypothèse y reconnaître une origine passionnelle, en aucun cas morale au sens que l’on donne au mot « morale ». Ainsi tout discours normatif sur le vivant revient à défendre une position amorale en soi, parce que non transcendante et/ou passionnelle.

4° Être écologiste, ce n’est ni bien ni mal. Réciproquement, ne pas être écologiste n’est ni bien ni mal.

Démonstration
Cela se déduit de ce qui précède. Puisque tout discours normatif sur le vivant est en vérité amoral, et que la vie n’a aucune valeur en elle-même, l’écologisme se trouve non pas tant par-delà qu’en deçà bien et mal. Pour se trouver au-delà du bien et du mal, il faudrait en effet que l’écologiste soit conscient de l’inanité de tout discours normatif, qu’il renonce à la morale. Or, à quelques exceptions près, l’écologisme se veut moralement fondé, sans savoir ou feignant d’ignorer qu’il réunit en fait des intérêts passionnels différents, quoique convergents sur les moyens, ici la peur de mourir, là l’attachement à la nature. Rien qui puisse, en tous les cas, relever d’une quelconque valeur au sens strict du terme. 

5° Pour défendre sensément le point de vue écologiste, il faut s’appuyer sur des arguments non normatifs.

Démonstration
Cela se déduit de ce qui précède. Puisqu’aucun discours normatif n’est fondé en raison, le point de vue écologiste, pour être sensé, doit s’exprimer par des arguments non normatifs.

Scolie I
Il s’agit dès lors de parler non plus de ce qui est bien et mal, mais de ce qui est utile et nuisible, c’est-à-dire d’une part de ce qui favorise notre existence du point de vue de la vie biologique et de la coexistence avec les autres êtres vivants (ou la nature), et d’autre part de ce qui, au contraire, représente des obstacles, des nuisances à notre existence naturelle.

Scolie II
Mais ne pourra-t-on pas nous objecter alors qu’en disant cela nous accordions du prix, et donc de la valeur, à la vie ? Pourquoi ce qui est utile serait-il précisément ce qui contribue à la vie ? Parce que nous devons partir de ce qui est, donc du fait, à savoir qu’il y a de la vie, et que par nature, il apparaît que tout organisme aspire, consciemment ou pas, à ce qui favorise son développement ou sa santé, sa puissance, et fuit ou s’écarte de ce qui représente pour lui une douleur ou un danger de mort. Dès lors, l’organisme vivant cherche par nature ce qui lui est utile et fuit ce qui lui est nuisible. C’est d’ailleurs ce qui distingue par essence le vivant de l’inerte.

6° Pour être légitime, c’est-à-dire sensé, le discours écologiste doit donc être utile et non pas normatif.

Démonstration
Chasse à la baleine
Tout discours normatif s’expose à disputes et controverses du fait même qu’il ne repose sur rien qui puisse être transcendant, c’est-à-dire hors de doute. Dans ce cas, vouloir justifier l’écologisme par des raisons dites normatives ne sert à rien et au contraire nuit à la cause écologiste même. Ce type de discours est contre-productif, inutile et nuisible. Il convient de proposer des arguments en accord avec les faits ou avec ce qui est, à savoir les lois de la nature telles que nous les expérimentons en nous et autour de nous. Or nous constatons que la nature, définie comme l’ensemble des vivants, cherche ce qui lui est utile (sans finalité aucune, mais en tant que processus efficient), tandis qu’elle fuit ce qui lui est nuisible. D’où l’idée que l’écologisme, pour être conforme à son objet, savoir : défendre les lois de la nature, se doit lui aussi d’être utile, c’est-à-dire de rechercher les arguments qui permettent à la nature d’être comprise dans son être, c’est-à-dire dans l’effort que les organismes produisent pour se maintenir en vie et conserver la santé, tout en s’écartant de tout ce qui représente un danger.

7° Le discours écologiste ne se distingue pas fondamentalement de l’explication des lois de la nature, c’est-à-dire des sciences de la nature.

Démonstration
Puisque le discours écologiste utile consiste dans la compréhension de ce qui est utile à la nature, il suppose la connaissance des processus naturels. Or ce type de connaissance est précisément l’enjeu des sciences de la nature, telles que la biologie, la physique, la chimie, mais aussi la médecine, etc.

8° Le discours écologiste est utile, c’est-à-dire conforme à ce qu’il veut et peut être, dès lors qu’il rend possible la communication et la co-efficience  de chacune des sciences de la nature.

Démonstration
Quoique similaire, du point de vue de la démarche de connaissance, aux entreprises des sciences de la nature, l’écologisme se justifie en tant qu’il entreprend de mettre en relation chacune des disciplines sectorisées et circonscrites à un objet de la nature, pour les placer dans la perspective globale de la nature en général, la nôtre comme celle de tous les autres organismes. A ce titre, il correspond à une sorte de métascience, au sens où il se donne comme projet, non pas de superviser ou de piloter chacune des sciences de la nature, mais de les relier entre elles pour constituer la forme la plus complète de la connaissance de la nature.

Scolie
Ainsi l’écologisme devient écologie, science des sciences de la nature. Il reflète dans l’ordre de la connaissance la réalité de la nature elle-même. De même que tous les organismes coexistent sur le même plan, puisqu’aucun d’entre eux ne transcendant les autres, de même l’écologie planifie, coordonne, sur le plan général de la connaissance de la nature, l’ensemble des disciplines des sciences de la nature. L’écologie opère une dé-hiérarchisation des disciplines ou des sciences de la nature, en conformité avec ce qui est. Elle a pour mission, non pas de normer les sciences, mais au contraire de neutraliser les tentatives-tentations de normalisation dans les sciences de la nature, de telle sorte que ce que décrivent les sciences soit conforme à ce qui est, et dès lors que les sciences soient conformes à leur essence, c’est-à-dire à ce qu’elles doivent être pour être des sciences.

9° Ne pas être écologiste est, sinon mauvais au sens moral, du moins et nécessairement nuisible.

Démonstration
Cela se déduit de ce qui précède. Puisque l’écologisme consiste dans l’effort de soutenir, dans l’ordre de la connaissance sous la forme de l’écologie, et dans l’ordre pratique sous la forme de l’action, l’effort même de la nature pour se maintenir dans son être, l’effort contraire (l’anti-écologisme) ou l’absence d’effort (l’indifférence et l’inertie) apparaît contre nature, c’est-à-dire nuisible à la nature dont nous faisons tous partie.

10° Ne pas être écologiste est nuisible pour soi-même.

Démonstration
Puisque nous sommes des parties de la nature, ne pas soutenir l’effort de cette dernière revient à ne pas se soutenir soi-même ; autrement dit, cela revient à se nuire.

Scolie I
Comment expliquer qu’une telle attitude soit possible s’il est vrai que, en tant que parties de la nature, nous sommes soumis aux mêmes lois qui déterminent les organismes ? Autrement dit, s’il est vrai que nous observons autour de nous cet effort de chaque organisme non humain de se maintenir dans l’existence en recherchant l’utile et en s’écartant du nuisible, comment expliquer que l’humain puisse de manière contraire à sa nature ne pas rechercher ce qui lui est utile ? Cela tient sans doute à ce qui le distingue des autres organismes, savoir la conscience réflexive, par laquelle il est capable de se penser, et, partant, de s’extraire artificiellement du tout auquel il appartient. La conscience réflexive, associée à la raison, produit des abstractions, et en premier lieu l’abstraction de soi-même, au sens premier du terme, comme opération d’isolement de soi par opposition à ce qui n’est pas soi. L’abstraction est retrait de soi hors de la nature. Mais cette opération mentale n’est, précisément, que mentale, c’est-à-dire qu’elle ne rend pas compte de la réalité elle-même, mais d’une faculté de l’esprit. L’homme se croit alors être « un empire dans un empire ». Il génère ce faisant une forme fallacieuse de transcendance, ou du moins, un sentiment de transcendance, l’illusion d’être au-dessus de la nature, par le regard surplombant que son esprit lui permet. Mais il est évident que le sentiment ne traduit pas nécessairement ce qui est, et qu’il convient toujours de se méfier de lui. Par conséquent, il faut surplomber son propre sentiment et repérer sa genèse dans l’acte même de se penser, acte qui caractérise la conscience de soi.

Scolie II
Cette abstraction de soi par soi, générée artificiellement par la conscience de soi, entraîne, outre le sentiment de supériorité, celui de toute-puissance ou de libre arbitre. Car, en se croyant au-dessus de la nature, ou du moins hors d’elle, on se croit facilement aussi insoumis à ses règles et lois, et donc indéterminé. Le libre arbitre consiste dans la puissance que possèderait l’âme ou l’esprit, le moi psychique, de se déterminer lui-même, sans être causé par quelque chose d’extérieur à lui-même. Le libre arbitre repose ainsi sur la croyance que nous ne serions pas des êtres naturels, c’est-à-dire des êtres totalement déterminés par les mêmes causes que les autres organismes et êtres de la nature. Il est, de ce point de vue, intrusion du surnaturel en nous, capacité mystérieuse, car échappant à l’explication fournie par les sciences de la nature, de produire des effets dans le monde en étant causa sui. Or il est manifeste qu’en théorie cela est infondé ; et qu’en pratique, cela est impossible, comme le montre notre incapacité à être cause de soi-même, à susciter n’importe quel désir en nous, etc.

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